Every BD

Le syndrome de Caïn

Pour ne pas trop vous révéler l’intrigue ésotérique de cet album, nous vous dirons seulement qu’il contient en vrac : des sociétés occultes, des tueurs, des agents spéciaux, des recherches scientifiques, des mystères hérétiques, des fanatiques religieux, des méchants nazis, une jolie fille, un baroudeur, une vieux lettré, un palais à Venise, une abbaye italienne, un laboratoire californien et bien d’autres ingrédients classiques du genre.

Cette accumulation, c’est peut-être le défaut de l’album. Tous ces éléments sont bien trop visibles et l’ensemble manque un peu de finesse. Pourtant, aussi surprenant que cela puisse paraître, ce qui aurait pu donner une bouillie épaisse et indigeste se lit avec plaisir. Ce n’est pas une suite de clichés, mais un récit de genre de la collection « Terres Secrètes », et une lecture très agréable.

M. F.

Le syndrome de Caïn 1 ; Tackian et Red ; Soleil.

Le jeu des dames

Il est impossible de raconter l’histoire du jeu des dames. Il n’y en a pas. C’est une rencontre entre un jeune homme inintéressant et un personnage excentrique et irréelle. Le second décide de prendre en main l’éducation du premier, en commençant par lui faire découvrir les femmes. Il l’entraîne dans toutes sortes de lieux et lui fait rencontrer des individus tous plus absurdes les uns que les autres.

Les dialogues sont dans le même ton que le reste de la bédé : drôles, décalés et excellents. On tombe parfois sur de vraies perles.

Le dessin n’est pas vraiment à couper le souffle, disons que c’est un style… Mais, s’il n’est pas très beau, il est parfait pour ce récit et il vient renforcer l’ensemble. C’est bien une vraie œuvre d’auteur qui ne ressemble à aucune autre, et qui vous entraîne dans un monde unique. Combien de magnifiques albums cachent des histoires creuses et des mondes fadasses ? Ici c’est l’inverse : le dessin peut rebuter au début, mais après le délire est lancé.

Si vous aimez les récits classiques et les dessins grandioses retouchés à l’ordinateur, n’ouvrez même pas cet album. Si vous appréciez la fantaisie, l’absurde et le décalage, le jeu des dames et un petit bijou du genre.

M. F.

Le jeu des dames ; Ayroles ; Casterman.

Death Note 2

A peine un mois après la sortie du premier volume, Kana nous propose le second tome de Death Note.

Connu du reste du monde sous le nom de Kira, Light ne chôme pas. Il tue chaque personne s’approchant de lui tant et si bien que le nombre de gens désireux d’enquêter sur Kira diminue rapidement. « L » accepte de rencontrer les rares personnes prêtes à mettre leur vie en jeu pour faire triompher la justice. Ensemble, ils se rapprochent petit à petit de la découverte de la vérité.

Dans le même temps, Light fait par hasard la rencontre d’une femme dont les déductions le concernant permettraient rapidement à la police d’établir sa culpabilité. Il dispose de peu de temps pour la tuer avant qu’elle ne puisse parler à la commission d’enquête, d’autant plus qu’elle lui a donné un faux nom et qu’il lui est impossible de la tuer à l’aide du carnet.

Ryuk lui propose alors un deal. En échange de la moitié de sa vie, il lui offre ses yeux, grâce auxquels il peut voir le nom de chaque personne, mais aussi la date de sa mort. Light acceptera-t-il le marché ou parviendra-t-il à découvrir son nom autrement ?

Le duel entre « L » et « Kira » s’intensifie. Les deux protagonistes redoublent d’ingéniosité, à tel point que le récit perd parfois un peu en crédibilité. Mais la qualité globale de l’intrigue couvre sans mal ce petit défaut et l’œuvre continue à surprendre et à accrocher le lecteur.

O. R.

Death Note 2 ; Takeshi Obata ; éditions Kana.

Malone

Un tueur se glisse chez sa cible et l’attend dans son bureau, un livre à la main. Quand la victime rentre chez lui, ils engagent une longue et étrange conversation.

Ce tueur n’est pas comme les autres. En plus d’être infaillible, il est très cultivé et intelligent. Il a une vision bien particulière de son métier, et surtout, il cache un étrange secret. La preuve en est avec l’incroyable proposition qu’il fait à sa victime.

Les dessins sont très bon et l’histoire intrigante. On peut éventuellement lui reprocher quelques maladresse : des petites longueurs au début, un mystère si peu entrevu que s’en est agaçant, et l’un des personnages principaux qui n’arrive que deux planches avant la fin. Ce personnage c’est l’inspecteur qui est sur ses traces et qui, lui aussi, semble hors norme.

L’album, avec de nombreuses planches sans texte, se lit vite. Si il n’y avait pas cette longue conversation au début avec ses grosses bulles bien denses à avaler, la BD ne resterait qu’une poignée de minutes entre les mains.

Pourtant, malgré ses maladresses et ses originalités déconcertantes, cela fonctionne. Le récit est noir et intrigant, les personnages mystérieux. On attend la suite.

M. F.

Malone ; Rio et Rovero ; éditions Casterman.

Death Note

Quelques mois après la fin de la publication de Hikaru no Go en France, un nouveau manga de Takeshi Obata fait son apparition en France.

Ryûk, dieu de la mort en mal d’occupation décide de laisser tomber son Death Note dans le monde des humains. Le Death Note, cahier de la mort, donne à son possesseur un pouvoir de vie et de mort sur chaque autre être humain. Il lui suffit d’écrire le nom de quelqu’un et de visualiser son visage au même moment pour qu'il s’effondre 40 secondes plus tard d’une crise cardiaque.

Light Yagami, 17 ans, trouve le carnet dans la cour de son lycée. Il décide alors de l’utiliser au nom de la justice et d’exterminer tous les criminels.
Rapidement confrontées à une avalanche de crises cardiaques parmi leurs détenus et les individus qu’elles recherchent, les polices du monde doivent bien accepter l’idée que ces décès mystérieux sont bien d’origine criminelle. Interpol fait donc appel à L celui qu'on appelle quand rien ne va plus, le mystérieux enquêteur à l’identité inconnue de tous. Pourra-t-il trouver Light avant que celui-ci ne découvre son visage et ne puisse écrire son nom dans son carnet ?

Takeshi Obata, l’homme qui 4 ans durant, a réussi à nous persuader que le go est un jeu passionnant et à dresser des parties aussi intenses que les meilleures scènes d’action, revient avec un nouveau genre : le policier. Changement parfaitement réussi. Les personnages ne sont pas particulièrement attachants, mais ils ne sont pas là pour ça. Entre l’enquêteur de génie qui reste tapi dans l’ombre et le lycéen dieu de la mort qui tue tous les criminels, on en finit par se demander qui a raison, et à ne plus trop savoir quelle vision de la justice on préfère voir appliquée. Les deux héros rivalisent en ingéniosité, sous les traits appliqués et réalistes d’un Obata dont le dessin s’est amélioré tout au long de sa série précédente pour devenir superbe.
La série a fait un carton au Japon, publiée chez Shonen Jump, un éditeur qui vise généralement un public assez jeune (One Piece, Dragon Ball) et qui a là dévié de sa politique éditoriale avec succès. On ne peut que lui souhaiter un avenir similaire en France.

O.R.

Death Note ; Takeshi Obata ; éditions Kana

Dark

Après la découverte d’un cercueil de plomb lors de fouilles en Syrie, une série de meurtres étranges frappent Paris. L’oncle de Nicole est retrouvé décapité. Le tueur n’a pris qu’un vieil objet mystérieux, secret de la famille. Elle demande de l’aide à un expert en sciences occultes.

Un petit mot sur l’histoire : tout cela est très classique mais fonctionne. Même si on connaît la chanson, même si ce n’est pas la première chose innommable réveillée lors de fouilles archéologiques, on se laisse prendre par l’intrigue.

Un autre petit mot sur le dessin qui est superbe. Très réaliste et maîtrisé, c’est du bon boulot ! La couverture et la scène la plus intense profitent d’une technique différente du reste de l’album. N’y connaissant rien en dessin, impossible de vous expliquer, mais le rendu est époustouflant. C’est sublime.

Passons maintenant au défaut de cette bédé, une tare qui vient la plier en deux comme un bon coup de genou dans le bas-ventre. Heureusement, grâce aux qualités citées plus haut, l’album parvient à redresser la tête et à terminer la course, difficilement et un peu crispé, mais la tête haute.

Passons donc à la voix off.

Quelle horreur !

On croirait au début que c’est fait exprès, pour donner un genre, mais non. La bédé souffre d’une pathologie grave, une maladie qui tire son nom de la page 6 de l’album : le syndrome de la narine palpitante. Planche 6, on rencontre une jeune fille au look gothique. Comme elle va retrouver son père adoptif, elle a retiré ses piercings pour ne pas le choquer. Voici ce que raconte la voix off : «…en temps normal, un ou deux piercings scintillent à son sourcil arqué, à sa narine palpitante… »

Ce texte est déjà ridicule en soi, mais quand il est censé accompagner la narration d’une planche de BD, on atteint des sommets. Sur le dessin, la narine ne palpite pas. Dans la vraie vie, il peut arriver à une narine de palpiter, ponctuellement, sous le coup d’une émotion intense, mais on ne peut pas dire qu’une narine est palpitante… à moins que le personnage ne soit atteint d’une maladie neurologique qui lui cause des palpitations nasales permanentes. Cet adjectif n'a rien à faire là.

Ce « palpitante » n’est donc pas une information sur le personnage, mais plutôt sur l’auteur. Ce « palpitante » nous apprend que l’auteur veut bien écrire et surtout, qu’il veut que ça se voit. Donc, pour montrer qu’il a du style, il accroche ce « palpitante » à la narine de son personnage, parce que les adjectifs, ça fait bien. Pas de chance, cette « narine palpitante » fait plutôt penser à un chien qui a flairé un os qu’à une jeune fille gothique et mystérieuse. Pour le style, il faudra repasser.

Mais laissons cette planche 6. Le syndrome se retrouve dans tout l’album. Chacun des textes est écrit dans un style lourd et précieux, prodigieusement agaçant… Nicole se rend chez son oncle malade. La voix off décrit l’appartement : « …mobilier bourgeois, massif, ciré, patiné, discrètement luxueux et exempt du moindre termite… » Rappelons tout de même que c’est d’une bande dessinée dont nous parlons. Plutôt que de décrire le mobilier, on aurait donc pu le dessiner. Mais non, une demi-douzaine de qualificatifs c’est le tarif minimum. Et encore, les adjectifs ne suffisent plus, il faut les doper aux adverbes. « Discrètement luxueux. » Peut-on faire plus indigeste ? C’est difficile. En revanche, plus ridicule, c’est possible. Il suffit de préciser qu’il n’y a pas de termite dans les meubles du vieux. Ca c’est une vraie info de qualité, importante pour la suite.

Le pire c’est que ça n’arrête jamais… On retrouve le vieux mort chez lui. On le voit puisqu’il est dessiné, mais le texte précise tout de même que « le vieux colonel et son sonotone probablement en parfait état gisent sur le tapis du salon ». Donc, le vieil homme allongé dans une mare de sang dans l’appartement du vieil oncle, c’est le vieil oncle mort. Il valait mieux l’expliquer on aurait pu se tromper. Au passage, on est rassuré sur l’état du sonotone du vieux. Ouf, il est probablement intact… La pression retombe. On peut continuer et un peu plus loin on apprend que « les chiens c’est cool » (sic).

Heureusement, les dialogues échappent à cette lourdeur. Par miracle, la voix off se fait de plus en plus rare au fil des pages, et les qualités de la BD parviennent de justesse à rééquilibrer la balance. On referme le livre pas trop mécontent.

M. F.

Dark ; Max, Mercier et Seitler ; Casterman.

Dr Kotô

Les habitants de Koshiki, petite île japonaise isolée au milieu de l’océan, voient débarquer le jeune docteur Kensuke Kotô. Celui va devoir gagner la confiance des locaux avant de pouvoir les soigner. En effet, déçus par l’incompétence des prédécesseurs de notre héros, ceux-ci préfèrent aller sur le continent qui se trouve à quatre heures de bateau de là, que de se faire examiner sur l’île. Pas facile de parer aux urgences dans ces conditions…

La première chose qui frappe dès la couverture, c’est cette impression de déjà vu. Le héros est un médecin, le résumé de l’histoire apparaît sur la couverture et Kana est à l’édition. On pense donc très fort à Monster en ouvrant le premier tome de cette toute nouvelle série.

En plus, les traits des personnages de Yamada rappellent assez ceux d’Urasawa. Il ne serait pas étonnant que le premier ait été assistant du second.

Cependant, toute comparaison s’arrête là. La curiosité, éveillée, retombe assez vite. L’histoire est assez monotone, et on ne s’attache pas vraiment à ce grand chirurgien au passé mystérieux qui est venu s’enterrer au milieu de nulle part. Le dessin est assez bon, à l’exception, étonnamment, du visage du personnage principal qui a l’air un peu bébête.

Et puis ces tartines de bons sentiments sont un peu agaçantes au final.

O. R.

Dr Kotô 1, de Takatoshi Yamada, aux éditions Kana

Jazz Club

Pour une fois, avant la BD, commençons par parler de la collection à laquelle elle appartient. Les éditions Dargaud regroupe au sein de sa collection « Long Courrier », une superbe série de bandes dessinées. On ne les a pas toutes lues, mais à chaque fois, celles qui nous sont passées entre les mains ont fait mouche. Le long voyage de Léna, Les cinq conteurs de Bagdad, Où le regarde ne porte pas (primé à Angoulême), chacun de ces récits est une petite merveille.

Jazz Club est du même calibre. Le dessin est unique, à la fois surréaliste, drôle et poignant ; l’histoire est forte, originale et intrigante ; le scénario est intelligent… Evidemment cette suite de qualificatifs ne vous apprend pas grand-chose sur la bédé elle-même. De quoi ça parle ? Comment ça commence ? Ah… C’est que ce serait pécher que d’égratigner le mystère. Eh bien c’est l’histoire d’un musicien de jazz qui a des problèmes. Vous n’en saurez pas plus. A moins de lire la BD, un plaisir dont il serait dommage de se priver.

M. F.

Jazz Club ; de Clérisse ; aux éditions Dargaud.

Manhole 3

Manhole, c’est l’histoire d’un virus mystérieux, la filariose, qui se répand dans la ville de Sasahara. La police, aidée par la section des maladies contagieuses du service de santé public, parvient à endiguer l’épidémie. Hélas, les enquêteurs Mizoguchi et Inoue découvrent que le virus est d’origine criminelle. Le seul moyen de le stopper est donc d’arrêter l’instigateur.

Qui est le suspect appelé le « photographe » ? Pourquoi agit-il de la sorte ? Nos héros touchent au but, mais l’inspecteur Mizoguchi a été infecté suite à un contact avec un individu contaminé. La jeune Inoue va donc devoir terminer le travail seule.

Du suspense et des révélations dans ce troisième et dernier tome du thriller bilogique de Testsuya Tsuitsui. Une œuvre en rupture totale avec le très remarqué one shot « Duds Hunt » (également disponible chez Ki-oon), malgré des dessins et une qualité d’impressions tout aussi remarquables.

Le scénario est bien ficelé, la lecture agréable, mais au final, il manque un petit quelque chose. Sans doute que Manhole ne fait pas suffisamment peur, et que Tsuitsui ne s’éloigne pas assez des sentiers battus. Si Manhole a un défaut, c’est peut-être d’être un peu trop soigné et conventionnel.

O. R.

Manhole 3, de Tetsuya Tsuitsui, aux éditions Ki-oon

Muchacho 2

Après une bataille entre l’armée et les guérilleros, Gabriel se retrouve dans la jungle, seul et blessé. De quel camp est-il ? Il a caché des armes pour la révolution, mais sa famille est au pouvoir. Il a trahi les rebelles, mais il est amoureux d’un mercenaire à la solde de la révolution…

Ce récit est le long voyage de Gabriel et d’un groupe de guérilleros vers leur base arrière. Un périple épuisant durant lequel chacun des personnages va se découvrir.

Le dessin de Lepage est une vraie merveille. Cette jungle est fascinante, parfois sombre, parfois lumineuse, aux couleurs changeantes, soit gigantesque et soit trapue et étouffante. Dans ce décor incroyable, les personnages et leurs sentiments sont rendus avec génie.

Muchacho est une superbe BD qui entre en profondeur dans les tourments de personnages. Ici, vous ne trouverez pas d’intrigue compliquée et rythmée, mais de vraies rencontres et une grande aventure humaine.

M. F.

Muchacho 2 ; de Lepage aux éditions Dupuis.