Every BD

Le jeu des dames

Il est impossible de raconter l’histoire du jeu des dames. Il n’y en a pas. C’est une rencontre entre un jeune homme inintéressant et un personnage excentrique et irréelle. Le second décide de prendre en main l’éducation du premier, en commençant par lui faire découvrir les femmes. Il l’entraîne dans toutes sortes de lieux et lui fait rencontrer des individus tous plus absurdes les uns que les autres.

Les dialogues sont dans le même ton que le reste de la bédé : drôles, décalés et excellents. On tombe parfois sur de vraies perles.

Le dessin n’est pas vraiment à couper le souffle, disons que c’est un style… Mais, s’il n’est pas très beau, il est parfait pour ce récit et il vient renforcer l’ensemble. C’est bien une vraie œuvre d’auteur qui ne ressemble à aucune autre, et qui vous entraîne dans un monde unique. Combien de magnifiques albums cachent des histoires creuses et des mondes fadasses ? Ici c’est l’inverse : le dessin peut rebuter au début, mais après le délire est lancé.

Si vous aimez les récits classiques et les dessins grandioses retouchés à l’ordinateur, n’ouvrez même pas cet album. Si vous appréciez la fantaisie, l’absurde et le décalage, le jeu des dames et un petit bijou du genre.

M. F.

Le jeu des dames ; Ayroles ; Casterman.

Malone

Un tueur se glisse chez sa cible et l’attend dans son bureau, un livre à la main. Quand la victime rentre chez lui, ils engagent une longue et étrange conversation.

Ce tueur n’est pas comme les autres. En plus d’être infaillible, il est très cultivé et intelligent. Il a une vision bien particulière de son métier, et surtout, il cache un étrange secret. La preuve en est avec l’incroyable proposition qu’il fait à sa victime.

Les dessins sont très bon et l’histoire intrigante. On peut éventuellement lui reprocher quelques maladresse : des petites longueurs au début, un mystère si peu entrevu que s’en est agaçant, et l’un des personnages principaux qui n’arrive que deux planches avant la fin. Ce personnage c’est l’inspecteur qui est sur ses traces et qui, lui aussi, semble hors norme.

L’album, avec de nombreuses planches sans texte, se lit vite. Si il n’y avait pas cette longue conversation au début avec ses grosses bulles bien denses à avaler, la BD ne resterait qu’une poignée de minutes entre les mains.

Pourtant, malgré ses maladresses et ses originalités déconcertantes, cela fonctionne. Le récit est noir et intrigant, les personnages mystérieux. On attend la suite.

M. F.

Malone ; Rio et Rovero ; éditions Casterman.

Dark

Après la découverte d’un cercueil de plomb lors de fouilles en Syrie, une série de meurtres étranges frappent Paris. L’oncle de Nicole est retrouvé décapité. Le tueur n’a pris qu’un vieil objet mystérieux, secret de la famille. Elle demande de l’aide à un expert en sciences occultes.

Un petit mot sur l’histoire : tout cela est très classique mais fonctionne. Même si on connaît la chanson, même si ce n’est pas la première chose innommable réveillée lors de fouilles archéologiques, on se laisse prendre par l’intrigue.

Un autre petit mot sur le dessin qui est superbe. Très réaliste et maîtrisé, c’est du bon boulot ! La couverture et la scène la plus intense profitent d’une technique différente du reste de l’album. N’y connaissant rien en dessin, impossible de vous expliquer, mais le rendu est époustouflant. C’est sublime.

Passons maintenant au défaut de cette bédé, une tare qui vient la plier en deux comme un bon coup de genou dans le bas-ventre. Heureusement, grâce aux qualités citées plus haut, l’album parvient à redresser la tête et à terminer la course, difficilement et un peu crispé, mais la tête haute.

Passons donc à la voix off.

Quelle horreur !

On croirait au début que c’est fait exprès, pour donner un genre, mais non. La bédé souffre d’une pathologie grave, une maladie qui tire son nom de la page 6 de l’album : le syndrome de la narine palpitante. Planche 6, on rencontre une jeune fille au look gothique. Comme elle va retrouver son père adoptif, elle a retiré ses piercings pour ne pas le choquer. Voici ce que raconte la voix off : «…en temps normal, un ou deux piercings scintillent à son sourcil arqué, à sa narine palpitante… »

Ce texte est déjà ridicule en soi, mais quand il est censé accompagner la narration d’une planche de BD, on atteint des sommets. Sur le dessin, la narine ne palpite pas. Dans la vraie vie, il peut arriver à une narine de palpiter, ponctuellement, sous le coup d’une émotion intense, mais on ne peut pas dire qu’une narine est palpitante… à moins que le personnage ne soit atteint d’une maladie neurologique qui lui cause des palpitations nasales permanentes. Cet adjectif n'a rien à faire là.

Ce « palpitante » n’est donc pas une information sur le personnage, mais plutôt sur l’auteur. Ce « palpitante » nous apprend que l’auteur veut bien écrire et surtout, qu’il veut que ça se voit. Donc, pour montrer qu’il a du style, il accroche ce « palpitante » à la narine de son personnage, parce que les adjectifs, ça fait bien. Pas de chance, cette « narine palpitante » fait plutôt penser à un chien qui a flairé un os qu’à une jeune fille gothique et mystérieuse. Pour le style, il faudra repasser.

Mais laissons cette planche 6. Le syndrome se retrouve dans tout l’album. Chacun des textes est écrit dans un style lourd et précieux, prodigieusement agaçant… Nicole se rend chez son oncle malade. La voix off décrit l’appartement : « …mobilier bourgeois, massif, ciré, patiné, discrètement luxueux et exempt du moindre termite… » Rappelons tout de même que c’est d’une bande dessinée dont nous parlons. Plutôt que de décrire le mobilier, on aurait donc pu le dessiner. Mais non, une demi-douzaine de qualificatifs c’est le tarif minimum. Et encore, les adjectifs ne suffisent plus, il faut les doper aux adverbes. « Discrètement luxueux. » Peut-on faire plus indigeste ? C’est difficile. En revanche, plus ridicule, c’est possible. Il suffit de préciser qu’il n’y a pas de termite dans les meubles du vieux. Ca c’est une vraie info de qualité, importante pour la suite.

Le pire c’est que ça n’arrête jamais… On retrouve le vieux mort chez lui. On le voit puisqu’il est dessiné, mais le texte précise tout de même que « le vieux colonel et son sonotone probablement en parfait état gisent sur le tapis du salon ». Donc, le vieil homme allongé dans une mare de sang dans l’appartement du vieil oncle, c’est le vieil oncle mort. Il valait mieux l’expliquer on aurait pu se tromper. Au passage, on est rassuré sur l’état du sonotone du vieux. Ouf, il est probablement intact… La pression retombe. On peut continuer et un peu plus loin on apprend que « les chiens c’est cool » (sic).

Heureusement, les dialogues échappent à cette lourdeur. Par miracle, la voix off se fait de plus en plus rare au fil des pages, et les qualités de la BD parviennent de justesse à rééquilibrer la balance. On referme le livre pas trop mécontent.

M. F.

Dark ; Max, Mercier et Seitler ; Casterman.

Application de l'article 3

Il y a des bédés, c’est dommage mais c’est comme ça, qu’on n’arrive pas à terminer…

Certains s’écrieront « Bouh ! La honte ! » ou « C’est un scandale ! Quel manque de sérieux ! », voir même « Comment ? Mais c’est interdit ! »

Pour la honte ou le scandale, je ne sais pas. En revanche, c’est parfaitement autorisé. Suivant l’article 3 des Droits imprescriptibles du lecteur (1), tout lecteur à le droit de ne pas finir un livre. Et c’est exactement ce que nous avons fait pour deux ou trois BD. Pas moyen de les terminer. Elles ne sont pas forcément mauvaises (d’ailleurs sans les lires jusqu’au bout, il ne serait pas honnête de les critiquer), elles ont juste rencontré le mauvais lecteur.

Impossible de finir Ernie Pike. Ces histoires de guerre, vieillottes et désuètes, ne réussissent pas à capter suffisamment d’intérêt pour qu’on garde le livre ouvert. Le célébrissime Hugo Pratt est pourtant au dessin, mais rien à faire. Mais si vous raffolez du maître ou des récits de soldat, pourquoi pas…

Matière Fantôme est une histoire de science-fiction de haute volée avec : un vaisseau qui abrite les survivants de l’humanité, des clonages, des rebelles… et beaucoup de considérations mystico-philosophiques. Les dessins sont un peu fades et l’action pas franchement trépidante, du coup, pas moyen de dépasser la moitié. Mais si vous le désirez, il y a de quoi se creuser les méninges sur quelques grands thème de science-fiction.

Elias le Maudit a pour lui une superbe couverture, d’excellents dessins et de belles trouvailles graphiques qui dépoussièrent les classiques du médiéval fantastique. Les couleurs ne sont malheureusement pas à la hauteur et affadissent le dessin, surtout quand on le compare à la couverture ou à la page précédant le début de la BD. L’intrigue lâche aussi au bout de quelques pages : une histoire de magie, d’eau empoisonnée, et un vague complot contre le roi. Mais si vous accrochez au récit, vous aurez entre les mains une très bonne BD.

M. F.

Ernie Pike ; Pratt et Oesterheld ; Casterman.

Matière Fantôme 2 ; Douay et Fléchard ; Dupuis.

Elias le Maudit 2 ; Mastantuono et Corgiat ; Les Humanos.

(1) Cf. Comme un roman ; Daniel Pennac ; Folio

Philippe Geluck

J’étais donc très content d’être là, et ça faisait longtemps que ça ne m’était pas arrivé.

Philippe Geluck répond en vrac à toutes les questions. Comment a-t-il réagit devant le canular sur les télés belges à propos de l’indépendance de la Flandre et la dissolution de la Belgique ? Amateur de bonnes blagues, l’humoriste s’est tout de même trouvé gêné. Où faut-il s’arrêter ? Ne risque-t-on pas de perdre la confiance des spectateurs ? Et il nous montre un dessin à la une du quotidien belge Le Soir : une famille qui rigole devant les massacres au Darfour en disant que c’est drôlement bien fait, qu’on dirait presque que c’est vrai…

Le chat président, qu’est-ce que c’est que cette histoire ? C’est une petite variation du thème des agendas Le Chat de cette année. Ce devait être juste un petit blog rigolo mais ça devient un vrai phénomène avec de plus en plus de visiteur. (D’ailleurs, nous aussi, on soutient Le Chat ! Visitez le site !)

A la question « est-ce que vous pouvez nous faire un dessin du Chat ? », il répond non. Le Chat ne se dessine pas comme ça sur un coup de tête. C’est, explique-t-il, un vrai processus de création qui demande du temps et du travail.

Il nous parle aussi de la radio, de Ruquier, de la télé, de Drucker, des invités auxquels il a écrit ses lettres (et dont un recueille est disponible en librairie), de son travail, de ses choix… Il se montre d’une très grande gentillesse, un vrai monsieur aux multiples talents et au CV qui déborde. Une rencontre qu’on n’est pas près d’oublier.

M. F.

Philippe Geluck

Parfois le journaliste est un peu blasé. Bon, ok, il est souvent blasé. Mais il faut dire que la belle énergie de vos débuts s’émousse à force de voler de conférence de presse moisie en événement presse soporifique. Les meilleurs sujets sont bien souvent ceux qui n’étaient pas prévus.

Alors, quand les services de communication vous proposent de rencontrer un dessinateur et humoriste belge et célèbre, vous n’y allez pas forcément avec de grandes attentes. D’ailleurs, une fois sur place, ça ne vous étonne même pas quand on vous annonce qu’il est très en retard, qu’il faudra raccourcir l’interview, que vous devrez le voir en même temps que deux autres médias qui n’ont pas eu la chance de passer dans les premiers.

Si le journaliste se blase, c’est aussi pour éviter d’être à chaque fois déçu…

Sauf que Philippe Geluck veut à tout prix rencontrer et satisfaire tout le monde. Ça, ça n’est pas courrant. Pendant que tout le monde s’installe, il s’inquiète de la rencontre avec le public et de la séance de dédicace. Il sait qu’il y aura du monde pour le voir, et il ne veut pas décevoir. Et pourtant, une fois qu’il commence à répondre à vos questions, il ne s’occupe plus que de vous. Sans montrer que le temps presse, sans vous faire sentir que vous n’êtes pas le premier de la journée, sans mépriser les questions un peu maladroites d’une stagiaire. Il répond, avec patience, humour et générosité.

Philippe Geluck transperce d’un coup l’armure d’indifférence du journaliste. Et ce dernier, il est content d’être là.

M. F.

La suite demain...

Quartier Lointain

Hiroshi, 40 ans, visite le village de son enfance quand il est pris d’un mal de tête et s’évanouit. A son réveil, le monde qui l’entoure a changé. Hiroshi a fait un bond dans le temps, il a à nouveau 14 ans.

Passé la surprise, il s’acclimate à sa nouvelle adolescence. Il vit désormais les évènements de son enfance avec ses yeux d’adultes et pose un œil nouveau sur le monde qui l’entoure. Cependant, chaque jour qui passe le rapproche du jour ou son père va abandonner sa famille. Hiroshi pourra t’il empêcher l’histoire de se répéter ? Rejoindra t’il un jour sa femme et sa fille ?

Fêtes de fin d’année oblige, Casterman fait dans le commercial en rééditant Quartier lointain dans une version intégrale deux tomes en un. Etait-ce indispensable alors qu’il existait déjà une version coffret ? Etonnement : on a envie de dire oui. Pas parce que cette version apporte grand grand-chose finalement. A la limite, on préfère même le coffret qui évite d’avoir un pavé entre les mains, ce qui n’est pas toujours pratique pour la lecture ou pour le transport. Pourtant, cinq ans après avoir lu Quartier lointain pour la première fois, ça nous fait toujours plaisir de voir cette merveille en tête de rayon dans les librairies et de savoir que des milliers de personnes découvriront Taniguchi et son chef d’œuvre pour noël.
C’est commercial ? Oui et ? Allez l’acheter tout de suite !!!

O.R.

Quartier Lointain, l’intégrale, aux éditions Casterman, par Jiro Taniguchi

Kaamelott

Des zombies arrivent au compte goutte sur les terres du roi Arthur. Ils traverse la forêt et les champs avant de se cogner contre la porte de son château et de se faire écrabouiller d’un bon coup de marteau de guerre. Parce qu’ils sont là pour lutter contre les forces du mal, et pour les arrêter avant qu’ils ne débarquent par centaines, les chevalier de la table ronde remontent leur piste.

Kaamelott n’est pas l’adaptation BD du programme télé. C’est une déclinaison de l’univers, de l’esprit de la série et des personnages pour former un nouveau produit. Oubliez donc les sketches et les petites histoires qui se croisent, l’album est un récit complet de médiéval fantastique rigolo. Et c’est du bon boulot ! Pas étonnant quand on sait que Alexandre Astier, le créateur, scénariste, réalisateur et acteur de la série est aux commandes de la BD. Ce passionné de technique scénaristique nous a fabriqué une belle mécanique qui fonctionne à merveille.

Le seul défaut, c’est justement que c’est une belle machine, bien huilée mais à laquelle il manque un petit quelque chose. Un petit rien (un grain de folie, un souffle) qui nous ferait oublier la mécanique. Dommage, car cette BD est vraiment drôle, efficace et bien faite.

M. F.

Kaamelott ; de Dupré et Astier ; aux éditions Casterman.

Un ciel Radieux

Au Japon, un soir, un conducteur s’endort au volant et renverse une moto avant de s’encastrer dans un pylône. Il meurt à l’hôpital quelques heures plus tard, mais il refuse de partir. Son esprit revient et s’incarne dans le corps du jeune motard qu’il a renversé. Il sort du coma pour retrouver une vie qui n’est pas la sienne, loin de sa femme et de sa fille.

Cette histoire est un thème classique du fantastique : un esprit dans un corps qui n’est pas le sien. Elle se développe sur plus de 300 pages, enchaînant des scènes puissantes sur le plan des émotions. Le héros pourra-t-il retrouver sa femme et sa fille ? Si oui pour combien de temps ? Comprendront-elle qu’il est bien lui dans le corps d’un autre ? Cette autre ne risque-t-il pas de revenir ? Le temps presse et l’émotion grandit à chaque page.

Un ciel radieux est un livre poignant, une histoire belle et triste comme on en voit rarement dessinée.

M. F.

Un ciel radieux ; de Jirô Taniguchi ; dans la collection écriture des édition Casterman.

La nuit des chats bottés

Les chats bottés sèment la terreur dans Paris. Deux mystérieux individus, leurs visages cachés sous des cagoules félines et les pieds chaussés de bottes de parachutistes, font exploser des bombes. Ils semblent les placer au hasard, mais suivent un plan bien précis…

La nuit des chats bottés est l’adaptation du roman du même nom, basée sur cette idée simple et séduisante : un ancien militaire décide de faire sauter les lieux qui marqués la vie de la femme qu’il aime. Il commence petit avec le bar PMU où allait jouer son père, puis s’attaque aux monuments les plus célèbres de Paris.

L’idée est magnifique, mais la BD peine à l’exploiter dans la longueur. Le milieu des 120 pages manque parfois de rythme et d’intensité. Le dessin, en noir et blanc, est assez déroutant. Il porte parfois l’histoire avec beaucoup de justesse, mais à certains moments les cases ressemble à des gribouillis…

La nuit des chats bottés est une bonne BD qui donne envie de découvrir le roman, un classique écrit dans les années 70.

M. F.

La nuit des chats bottés ; scénario et dessin Boris Beuzeulin d’après le roman de Frédéric H. Fajardie ; collection écritures des éditions Casterman.